MINATEC IDEAs LABORATORY
Textes prospectifs sur un futur sans énergie fossile
Question avenir : et si on avait tout faux ?
Le Think Tank "Minatec Ideas Laboratory", regroupant différentes entreprises internationales, m'a proposé de donner ma vision d'un futur sans énergie fossile.
J'ai donc imaginé 10 textes prospectifs sur 10 thèmes comme le numérique, l'habitat, la mobilité, l'éducation, l'eau, la santé, l'alimentation, etc.
Les textes ont été illustrés par Yigaël, voir ci-dessous, avec qui j'ai réalisé la série BD Egovox.
L'ambition de cet exercice très stimulant était d'envisager un Nouveau Monde, matière qui participera peut-être à imaginer de nouveaux produits et services en adéquation avec un contexte post-énergie fossile.
De la science ou de la fiction ? L'avenir nous le dira...
Vous pouvez découvrir ci-dessous un de mes textes sur le thème du Numérique. Le pitch ? Pourrait-on passer une journée sans numérique ? Allez, cap !
Aujourd’hui,
je me dénumérise ©
« Sans chromosome, pas de vie.
Sans numérique, pas d’existence ! »
Céka
"Ça a commencé par un pari stupide, comme ceux que l’on fait en fin de soirée, quand on ferait mieux d’être couché depuis longtemps ! J’avais parié que je pouvais passer une journée sans laisser de trace numérique, même pas un kilo-octet ! Nos ancêtres, les homo analogis vivaient bien sans, alors pourquoi pas moi ? Oui, pourquoi pas moi ?
Mes amis m’avaient prévenu... Chacun fouinerait partout pour tenter de retrouver la moindre trace de mon passage numérique : géolocalisation, caméras urbaines, messagerie, Internet, cartes numériques, téléphone, etc. Mais j’avais persisté à les défier, la tête haute, leur laissant même le choix du jour. Ils m’avaient répondu lundi prochain, soit dans une semaine exactement...
Dans la griserie du moment, j’étais sûr de moi. Pourtant, après réflexion, je me rendais compte de la difficulté de la tâche. Un vrai bras de fer contre un adversaire invisible m’attendait... Et, à la veille de ce défi, j’étais moins euphorique !
Le pari commençant dès minuit passé, il avait fallu que je débranche chez moi tout ce qui pouvait déclencher une activité numérique. J’avais commencé par arrêter la domotique qui commandait à peu près tout dans mon EscargHome, comme un vrai majordome. Ça allait de la gestion de mon système d’échange énergétique avec les autres EscargHomes à mon programme de coaching diététique en passant par la commande de plats auprès du service local de coproduction alimentaire ou la gestion automatisée de mes courses.
Pour me réveiller, c’était le même souci : je ne pouvais pas utiliser mon radio-réveil synchronisé à distance sur mon horloge biologique. Il avait aussi fallu que je lance moi-même mon petit-déjeuner car j’avais arrêté toutes les programmations Intranet : celles de ma machine expresso ou de mon journal numérique personnalisé. Heureusement, j’avais réussi la veille à acheter un des rares journaux papier encore existant. Par contre, il y manquait bien sûr la partie coproduite par mon réseau social...
Me rendre à mon travail comportait aussi différentes difficultés, à commencer par la déconnexion de l’alarme de mon domicile gérée en ligne. De même, je ne pouvais pas passer par l’ascenseur à reconnaissance faciale, ni par le détecteur d’entrée. Et, plus dur, il fallait que je me déplace en évitant les multiples caméras de surveillance urbaine. Après un repérage serré ces derniers jours, j’en avais quand même comptabilisé plus de cinquante sur mon trajet. Un vrai parcours du combattant pour passer dans les angles sans caméra ou les ruelles isolées ! Pour me faciliter la vie, j’avais décidé de travailler depuis le télécentre du quartier, ce qui diminuait d’autant le nombre de contrôles numériques.
Au-delà de cette difficulté, je ne pouvais pas non plus utiliser de moyens de transports. Tous fonctionnaient avec une carte numérique, que ce soit le tram, le bus ou le métro, les vélos ou les trottinettes électriques copartagés ou alors le covoiturage. D’ailleurs, Paul avec qui je partageais un véhicule collectif-individuel allait être surpris de ne pas voir mon véhicule passer au coin de la rue comme chaque matin. Mais le service de covoiturage lui proposerait surement une autre rencontre. Oui, le numérique était vraiment partout, nous facilitant grandement le quotidien, sauf quand on faisait des paris stupides comme moi !
Arrivé sur mon lieu de travail, même casse-tête. Heureusement, j’avais repéré une porte de service totalement oubliée par le numérique, l’électronique et l’informatique. Bref, sans hic ! Je contournais en douce les quelques caméras dissimulées à des points stratégiques pour rejoindre un bureau de passage. Je ne l’avais pas télé-réservé, j’étais donc un squatteur d’un jour. Pour éviter les mails, les coups de téléphone et les conf’ call, j’avais organisé des réunions et la rédaction de compte rendus, le matin et l’après-midi. Quant à mon mobile, je l’avais tout simplement laissé chez moi éteint pour ne pas me faire repérer. Car, même en mode veille, il permettait à toute personne autorisée de me géolocaliser.
J’avais quand même failli me faire pincer à plusieurs reprises dans la journée. À la badgeuse de mon étage. Heureusement, j’avais réussi à rentrer en me mêlant à un groupe. À la machine à café. Ouf, un collègue de l’entreprise qui gère les Hubers proposa de payer sa tournée au moment où je sortais ma carte prépayée. Et au pot de départ de Moha quand elle essaya de me prendre en photo pour alimenter son fil Facetwit. Par chance, elle n’avait plus de batterie !
Quant au déjeuner, je déclinais les unes après les autres les propositions ne pouvant pas payer avec ma carte. Je ne pouvais même pas badger à la cantine, la déprime totale ! À l’époque où la monnaie-papier existait encore, ça n’aurait posé aucun problème, mais aujourd’hui, ça n’existait plus, à part chez les numismates ! Alors, je me retrouvais comme une âme en peine à manger un affreux sandwich à l’Oliwan, sans même pouvoir consulter Internet ou me faire une vidéo call avec un ami. Oui, quand le numérique vous manque, tout semble bien dépeuplé !
L’après-midi, je restais concentré sur mon pari. Je savais qu’un simple moment d’inattention et c’était perdu ! Ne disait-on pas que, aujourd’hui, chaque homme laissait en moyenne deux cent cinquante traces numériques par jour ? Il existait, parait-il, des hommes totalement invisibles, numériquement parlant. On les surnommait les fantômes, vivant totalement reclus.
Ouf, j’avais réussi à revenir chez moi sans encombre et je passais ma soirée vissé à mon fauteuil avec un bon vieux livre papier pour éviter la faute dans la dernière ligne droite. Bien sûr, comme mon gestionnaire d’énergie était à l’arrêt, je devais me passer de courant. C’est donc à la bougie que je lus... Heureusement, à minuit, je pourrais tout remettre en route et envoyer un mail général à mes amis pour dire que j’avais remporté le pari... J’avais hâte que ça s’arrête tant il était difficile de vivre déconnecté, contrairement à ce que je pensais.
Alors que l’heure fatidique approchait, quelqu’un sonna à ma porte. Étrange, je n’attendais personne. Après avoir regardé dans l’œilleton vidéo, j’ouvris la porte. C’était deux voisins du Verticabitat qui venaient en délégation. Ils s’inquiétaient : je n’avais pas donné signe de vie numérique depuis bientôt 24h, ils se demandaient s’il ne m’était pas arrivé quelque chose de grave... J’inventais une fausse excuse de panne et ils repartirent rassurés.
J’avais peut-être gagné mon défi, mais je m’aperçus alors d’une réalité. Le numérique était omniprésent et omniscient. Sans chromosome, pas de vie. Sans numérique, pas d’existence !"
FIN